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Trucs et Astuces

La narration

Zéli et moi échangeons souvent sur nos méthodes d’écriture, nos idées, nos difficultés. Et dernièrement, nous avons partagé nos opinions sur la narration et soulevé quelques interrogations. Quel type de narrateur ? Je ? Il ? Quelle valeur temporelle ? Présent ? Passé ?

Cela fait beaucoup de questions.
Mes premières ébauches étaient écrites à la 3ème personne du singulier. Oui, j’ai grandi avec Harry Potter. Ce n’est que bien plus tard que j’ai commencé à écrire à la 1ère personne du singulier. En revanche, j’hésite encore avec la valeur temporelle.
J’ai toujours souhaité construire un récit au présent, mais les tests que j’ai faits… eh bien…, ne sont restés que des tests justement. Combien de chapitres ai-je dû retravailler pour revenir au temps passé plus sécurisant ? Plusieurs dizaines, je le crains.

Zéli m’a scruté avec des yeux ronds quand je lui ai fait part de mes déboires… ben oui, parce que lui ne se pose pas autant de questions. Il écrit comme il le ressent et la narration au présent à la première personne du singulier est quelque chose de naturel pour lui.

Et vous ?

Pour trouver des réponses à mes questions, ou en tout cas pour m’aider à comprendre d’où provient cette difficulté, j’ai jugé que des révisions s’imposaient. Oui, même si j’écris beaucoup (un euphémisme !), pour moi, les cours de Français sont un peu loin.

Je vous propose de creuser ensemble la question du statut du narrateur et de la valeur temporelle.

Le statut du narrateur…

En premier lieu, notons qu’il ne faut pas confondre l’auteur et le narrateur.
L’auteur est le concepteur de l’intrigue, celui qui imagine l’œuvre (roman, nouvelle, etc…) tandis que le narrateur est celui qui raconte l’histoire. Il est important de distinguer l’auteur de son/ses personnage(s), ainsi, un écrivain peut narrer l’histoire d’un serial killer sans être considéré comme adepte des mêmes travers.
Il est aussi possible que plusieurs voix se partagent la vedette, nous parlons alors de récit polyphonique.

Statut interne

Le narrateur peut être « personnage » principal ou secondaire, autrement dit, il incarne un protagoniste de l’histoire. Nous suivons les péripéties à travers son regard, ses émotions. Nous parlons alors d’un narrateur homodiégétique ou autodiégétique s’il est le personnage principal.
Pour ce faire, l’auteur utilise souvent la première personne du singulier « je », mais il n’est pas exclu de trouver des récits à la troisième personne du singulier « il ». Dans ce cas, le narrateur effectue une « projection » dans l’esprit du personnage, il entre dans sa tête.
Dans les deux cas, ce statut implique une subjectivité totale des événements qui dépend de la vision et de la psychologie du protagoniste. Il est alors à la charge du lecteur de différencier le factuel des opinions du personnage.

Statut externe

Le statut peut aussi être externe avec un narrateur extradiégétique, c’est-à-dire extérieur au récit. Il s’agit alors d’une voix indéterminée qui n’est ni celle de l’auteur ni celle d’un protagoniste. Bien qu’il se focalise généralement sur un ou plusieurs personnages, le lecteur n’a pas accès à leur esprit, à leurs pensées, à leurs doutes, à leurs tourments et à leur vision des choses.
Ce statut est généralement caractérisé par l’emploi de la 3ème personne du singulier « il ».
Le narrateur externe peut être totalement neutre et se contenter de conter le récit tel qu’il le voit se dérouler comme une caméra embarquée.
Toutefois, il peut aussi être impliqué et se permettre de commenter, de porter des jugements de valeur sur les personnages ou les situations, ou encore émettre des sarcasmes ou faire usage de l’ironie.

Point de vue omniscient

Le point de vue omniscient, ou focalisation zéro, permet au lecteur d’acquérir de larges connaissances sur l’univers, sur les faits et gestes des différents personnages ainsi que sur les situations.
Parce que le narrateur omniscient sait tout, telle une entité divine.
Il connaît les pensées et les intentions de chacun. Il a accès aux informations qui échappent aux protagonistes. Il fournit tous les détails au lecteur. Ses affirmations, ses descriptions sont forcément vraies et crédibles. Il n’est pas influencé par la subjectivité des personnages.

Alors, « je » ou « il » ?

L’emploi de la troisième personne permet de conserver une certaine distance entre l’auteur et son/ses personnage(s). Certains lecteurs boudent les récits à la première personne parce qu’ils sentent leur regard de l’histoire biaisé par la subjectivité de l’auteur. De plus, l’emploi du « il » permet de s’émanciper des tics de langage des protagonistes alors restreints aux dialogues.
Par ailleurs, l’utilisation de la troisième personne facilite le changement de narrateur, notamment quand vous livrez le point de vue de plusieurs personnages à la fois.

La narration homodiégétique avec la première personne du singulier « je », implique davantage le lecteur. C’est le héros qui conte son histoire comme il la vit, comme il la perçoit, comme il la ressent.
En tant qu’auteur, vous devez incarner votre personnage, le connaître par cœur, ses réactions, ses pensées, ses émotions et vous imprégner de son passé, de ses traumatismes, de ses peurs. Vous devez aussi adapter votre écrit, votre vocabulaire au langage du personnage parce que c’est bien lui qui parle.

Dans le cas d’un récit polyphonique, soyez vigilants lorsque vous switchez d’un personnage à un autre pour garder le fil de leurs pensées, de leur état d’esprit. Il convient d’établir une narration propre à chacun des protagonistes-narrateurs.
Par ailleurs, notons que ce point de vue interne limite les informations à ce que voit, entend et ressent le narrateur.

Les pièges à éviter…

Avec l’emploi de la première personne du singulier, vous devez trouver un moyen de rendre votre personnage (même le plus détestable) sympathique, attachant, intéressant, captivant. Oui, la narration à la première personne peut être barbante. Imaginez un Calimero ou un râleur… ou encore un personnage qui jure en permanence dans un Français approximatif…

Soyez vigilants aussi aux répétitions et aux monologues qui peuvent alourdir le récit.
Dans la mesure où nous sommes limités par le point de vue unique du protagoniste, nous pouvons aussi être tentés de supputer, d’émettre des suppositions sur les événements et les réactions des autres personnages. Faites cependant attention à ne pas basculer vers le point de vue externe en apportant trop d’éléments inconnus du narrateur.

Il est également important de faire évoluer progressivement votre personnage. Le lecteur doit pouvoir suivre son cheminement au fil de l’intrigue, des obstacles. Sa façon de penser, ses raisonnements, ses opinions doivent évoluer logiquement à la suite d’événements, de discussions, de rencontres. Cette progression doit être ponctuée d’interrogations, de doutes, de peurs, d’efforts et sa narration change naturellement avec lui.

La narration à la première personne est donc délicate à mettre en œuvre, mais en plus de happer le lecteur dans la tête du personnage, elle génère également un suspens naturel. Elle suscite, pour le lecteur, des interrogations, des doutes, parfois des idées faussées par les raisonnements du protagoniste. Et il est tout à fait possible d’en jouer…

La temporalité narrative… quésaco ?

En tant qu’auteur, vous disposez d’un certain choix de valeurs temporelles, de temps grammaticaux pour composer votre récit, il vous revient cependant d’assurer la cohérence de votre ouvrage.
Vous devez vous interroger sur la durée du récit, autrement dit le temps écoulé entre la situation initiale et le dénouement (trois jours, six mois, dix ans ?), ainsi que sur le moment où se situe le narrateur lorsqu’il conte les événements.

Nous distinguons trois temps :
◆ Le temps de l’écriture : l’époque où l’auteur écrit le récit.
◆ Le temps de l’histoire : l’époque où se déroule les événements ainsi que leur chronologie.
◆ Le temps de la narration : le moment où le narrateur raconte les faits et dans quel ordre il les rapporte (chronologiquement ou non).

À quelle époque se situe le narrateur ?

Il est important de déterminer à quel moment placer le narrateur par rapport aux péripéties qu’il raconte.

Dans le cadre de la narration ultérieure, il se situe après les événements. Ce sont alors les temps du passé qui sont employés (essentiellement passé simple et imparfait).

Le narrateur peut aussi vivre les événements en direct, on parle alors de narration simultanée avec l’emploi du présent.

La narration antérieure permet au narrateur de conter des événements futurs, sous forme d’anticipation, de rêve, de prophétie avec l’emploi du futur.

Le passé, toujours le passé !

Penchons-nous maintenant sur la narration ultérieure avec l’utilisation du passé. En français, il est le temps du récit par excellence. Il offre beaucoup de possibilités pour articuler votre écrit.

Le passé simple est exploité pour les actions achevées ou accomplies, précisément délimitées dans le temps et qui se succèdent ou non. C’est pourquoi il est appelé « passé de narration ». Il permet l’enchaînement des actions avec une certaine fluence.

L’imparfait est plutôt utilisé pour des actions longues, en cours ou inachevées, sans début ni fin précis. Il est le temps de la description, employé également pour des actions simultanées ou répétitives. Ce qui est dépeint à l’imparfait a encore une incidence sur le présent.
Le passé composé, comme le passé simple, marque l’antériorité d’une action sur une autre et exprime l’accomplissement d’une action.

Quid du présent ?

Plus moderne, le présent semble trouver sa place progressivement au sein de récits français, même s’il demeure très critiqué par les puristes.

L’emploi du présent offre un effet cinématographique au récit. Il donne vie à l’action avec une impression de direct. Il aide le lecteur à s’identifier au(x) personnage(s), à vivre plus intensément les événements. Le présent intensifie les émotions du lecteur.
Il est particulièrement adaptable aux récits qui se déroulent sur une durée restreinte et permet au lecteur de suivre en temps réel.

Cependant, malgré cet aspect cinématographique, le présent peut limiter les allées et venues de temps dans la tête du personnage qui reste centré sur le moment qu’il vit à l’instant T et peine à passer à des événements futurs. D’aucuns peuvent également affirmer qu’il limite l’expressivité. De plus, le passé étant le temps narratif par excellence, comme indiqué plus haut, certains lecteurs sont susceptibles de bouder ce genre de récits.

Présent ou passé ?

Vous l’avez compris, bien que le présent renvoie une impression de souplesse, de facilité, il peut s’avérer bien plus délicat à manier à en fin de compte.
Le présent peut être judicieux si vous choisissez un point de vue interne pour une histoire qui se déroule sur quelques jours. Toutefois, si elle s’étend sur plusieurs années, qu’elle fait appel à de nombreux personnages et s’appuie sur la narration plus que sur les actions, le passé peut offrir plus de possibilités ou sera peut-être plus simple à exploiter. C’est pourquoi vous devez déterminer avec soin la temporalité de votre histoire.

Néanmoins, n’oublions pas un élément important : l’aspect affectif. Vous devez être à l’aise avec la narration que vous choisissez. Interrogez-vous sur les éléments que nous avons vus plus haut et faites des tests. Si l’un des deux, présent ou passé, est bloquant, vous vous en apercevrez rapidement. Toutefois, si comme moi vous êtes buté et que vous vous acharnez à choisir la difficulté… eh bien… retroussez vos manches, faites-en un exercice de style littéraire !

Personnellement, comme vous le savez maintenant, le présent me pose problème depuis toujours. Alors, pourquoi insister ? me direz-vous. En toute honnêteté, je ne suis pas certaine de la réponse. Les ouvrages au présent m’ont toujours attirée de par cette immersion totale, mais je pense que le goût de la difficulté est plus fort.
C’est plus fort que moi, j’adore les challenges ! Qu’à cela ne tienne, mon prochain roman sera écrit au présent !
Pour tout vous dire, j’ai déjà commencé et j’en suis à 7 chapitres…
Je suis plutôt contente du résultat.
Mon constat ? La taille des chapitres ! En comparaison, ceux de la trilogie E16 sont trois fois plus longs ! Pourtant, tous les éléments de ma trame sont présents. Cette narration me permet d’aller à l’essentiel, de rester centrée sur l’action. Les arrêts sur image, que ce soit pour les descriptions ou les introspections, sont beaucoup moins fréquents, ou en tout cas maniés différemment. Le rythme est plus soutenu. Et plus, j’écris, plus l’exercice devient naturel.
Vais-je enfin régler mon problème de volume ? (consulter l’article « Comment les maisons d’édition ont-elles fait de moi une romancière indépendante ?« )

Mon conseil ?
Faites comme Zéli ! Pas n’importe quoi, certes, restez cohérents bien sûr, mais surtout écrivez comme vous le ressentez. Ayez confiance en votre récit, il vous révélera ce dont il a besoin…

Alors, verdict ?
Pour quel statut optez-vous ? Quelle temporalité ?

J’espère que cet article vous aidera dans votre choix de la narration. N’hésitez pas à me faire part de vos questions, nous tâcherons d’y répondre ensemble avec Zéli.

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